Trouver le ton, pour démarrer un nouveau blog: celui-ci commencera par un vol. Un vrai pour débuter, entre deux continents, par-dessus celui-là des deux océans que Philémon aime tant. Pour Nico, c'était le 10 décembre; pour moi, le 23 décembre. Deux dates distanciées, deux destinations séparées, Paris pour lui, Munich pour moi, deux états d'esprit l'un de l'autre estropiés. Nico talonne d'une violence obligée la fureur de Paris qu'encore mes traces de bottes marquent doucement la neige trop fraiche de Montréal. Puis pour finir, j'ai dû partir aussi. Dû, comme une obligation. Dû, comme une étape de la vie qu'on s'impose à soi-même, pour rejoindre la prochaine. Avec toute sa souffrance, ses angoisses. Avec tous ses projets, ses rêves; celles et ceux du dernier post des marmottes au Canada.
Comme une joke plate qu'on m'aurait faite pour mon départ, en moi résonne le jour de mon départ cette chanson si quétaine de Beau Dommage: “23 décembre, Joyeux Noel, Monsieur Côté...”, dit la chanson. “On s'reverra.... le 7 janvier...”. Cette fois, non, on ne se reverra pas le 7 janvier – plus tard, peut-être? Monsieur Côté me dit au revoir dans la pénombre d'un soir au pied du métro Mont Royal, deux jours avant mon vol. Loin d'Oliv' Volo sur St Laurent ou Ste Catherine qui chante “Adieu, sans rien se promettre, au revoir est un voeux trop plein de peut-être”, on s'en fait, des promesses, sans doute trop, explicites, ou non. Chacun à sa manière, on donne à l'autre un bout de soi. Et tout à coup en moi se retrouvent pèle-mèle des bouts des autres qui m'emplissent d'un espoir qui combat les angoisses: le chevalier ardent, la voyageuse du temps, le tyrano-poule, les inclassables et leur woolite, la douce princesse aux cheveux rouges et son chanteur d'opéra secret, Blanche Neige, ses deux nains et son prince venu d'ailleurs, la voix de Pierre Lapointe incarnée sans le dire, la poigne de la femme forte, ceux qui se cherchent en douceur et en amour tout en donnant tellement d'eux même à leur bientôt 3 petits, les joueurs invetérés, ceux qui soit-disant n'aiment pas les cadeaux, la bande à Biloutte.... Les promesses, c'est celle de se revoir, celle d'essayer au moins... En filigrane aussi derrière celles-ci, c'est celle de continuer, celle de rester soi ou de le devenir plus encore, libres. On ne sait aujourd'hui si le temps et la distance éteindront peu à peu ces envies en éloignant nos routes. Dans certains cas, comme je le découvre parfois douloureusement en intégrant mon nouveau ciel, la vie nous sépare peu à peu d'un mouvement doux-amer. Orb Isles me l'avait dit, le chevalier ardent me l'a répété: ne regrette rien, ne te retourne pas, on devient ce qu'on est et la vie est ainsi. Si la vie nous sépare cela sera sans souffrance. On découvre aussi parfois, des années plus tard, de nouveaux liens qui nous surprennent et nous ravissent, des chemins éloignés qui se sont rapprochés dans la perpétuelle musique de l'évolution des êtres. Alors, en passant la douane, et dans la langueur des après, je comprends qu'on manquera peut-être de courage pour s'écrire et de temps pour se décrire, que le combat nécessaire contre la nostalgie qui enfonce dans le passé et alourdit nos ailes nous éloignera peut-être, temporairement ou définitivement, ou que peut-être pas. Que peut-être, on se retrouvera. Le chevalier ardent l'a dit, la reine de la liberté l'a répété : au Québec, on sait que finalement, “ce n'est pas grâve”. Le contrôle sur la vie ne sert à rien si ce n'est nous couler.
Alors on souffle dans la voile la beauté des souvenirs et les rêves de demain pour la faire grandir et avancer. Et on plane. Bizarre comme cette expression, en France, est négativement connotée. “Hey, tu planes? - T'as pas les pieds sur terre!” Non en effet, pas tout à fait. Et quel bonheur. Comme Matthieu Ricard le prédisait dans son livre auquel il y a trois ans je ne croyais pas, la distance des passions n'empêche pas l'intensité des joies et le manque de contrôle n'entrave pas la direction des projets. Sans moteur, dans l'azur, je suis depuis mon arrivée (ou, en fait, depuis bien avant ça, car c'est le Québec qui m'a rendue ainsi!) au-dessus des douleurs empétrées et des angoisses entravées. Surtout, ne pas tout de suite atterrir, pas avant d'avoir trouvé une place en paix où l'on voudrait bien accueillir des marmottes voyageuses, dans un terrier mixte et varié, sur un terreau riche et coloré. Et qui sait, cette place est peut-être dans le ciel, accessible en vol libre seulement. Un mois déjà que je plane! Sans drogue aucune, sauf le café dont je bois trop et qui me remet temporairement les pieds sur terre quand je dois me battre avec l'administration et sa maison des fous d'Asterix (“le formulaire B52-12 vous sera distribué par le bureau X-48 qui se trouve au 100ème étage de cet immeuble sans ascenseur” “Ah Bon?”) Au début, le phénomène de planement tient d'un mélange de survie, de décallage horaire et de décallage culturel. On ne peut se crisper d'actions ou de réactions qu'on ne comprend pas, ou plus. L'humour prend naturellement le relais, signe d'une maturité sereine acquise loin de chez soi (“Pourquoi, déjà, s'énervent-ils? Allez, ça ne doit pas être bien grâve!”). De Munich à Innsbruck, dans le train qui me porte le 24 décembre dans la vallée du Tyrol, j'écoute ce vieux Français qui débat (ou se débat?!) avec deux Autrichiennes. On parle, on gesticule, on s'énerve pour tout; au Québec, on croierait que ça se chicanne! Mais non, c'est vrai, j'oubliais, c'est le coeur du lien social, en France. Difficile d'y couper, mais on le prend soudain avec plus de légèreté, au moins la plupart du temps. À Innsbruck, chez mon frère, les échanges permanents de points de vue et d'idées continuent et m'épuisent, arrivent presque à me faire atterrir et à m'énerver, loin de mon habitude de partager avec ceux que j'aime des projets et non plus de confronter des positions. Silencieusement je me réfugie dans les regards aimant à ma famille que j'aime, dans la tendresse sans borne de mon prince que je retrouve et qui lui aussi semble un peu continuer de planer dans son calme perpétuel; et parfois je me réfugie aussi, dans la journée aussi bien qu'à 2h du matin, dans les regards aussi perdus que le mien des beaux-parents de mon frère, qui eux aussi planent dans une brume de décallage horaire, loin de leur tranquille Californie et de ses géants red woods qu'on a vus cet été, majestueux dans leur grand âge. De ce côté-ci de l'Atlantique, les rues sont étroites et les espaces restreints, et partout il faut faire sa place en permanent contact avec l'autre, physiquement ou métaphoriquement. En trois ans, on l'oublie. Dommage que je n'ai pas pu comme Philémon juste m'arrêter sur une des lettres de l'Atlantique; ou, l'ai-je fait?
Car dans mon ciel, heureusement, il fait beau; et l'espace est sans borne. Planer au début me fait peur, comme une espèce de fuite qu'on ne choisit pas vraiment. Puis, en rentrant à Paris quatre jours après Noël, je réalise que c'est ma force. La maxime de Sénèque n'a jamais tant eu de sens: “ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas, c'est parce que nous ne les faisons pas qu'elles sont difficiles”; or, en trois ans, ce que Nico et moi avons accompli est phénoménal! Nous avons fait tomber nos peurs. Pouquoi alors les retrouverions-nous en revenant en France? Après tout, ici comme ailleurs, tout est possible. En partageant avec ceux qui, ailleurs (en France ou pas!), ont continué leur chemin, on se rend soudain compte comme les échanges sont bien plus beaux sans ces peurs, dans le ciel. Certains amis, encore un peu craintifs, se laissent pourtant dès notre arrivée emporter dans notre vol et tout à coup se libèrent et sourient comme jamais; d'autres, déjà très hauts aussi dans un ciel de liberté, nous racontent leurs paysages, leurs soleils et leurs lunes. Quel bonheur de se voir. Et c'est avec eux que le lien se re-crée. Sont-ce tous, comme le dit le livre que mon frère m'a offert, des “Third Culture Kids”, des enfants qui ont vécu plusieurs années de leur temps de développement à l'étranger, ou du moins à cheval entre plusieurs cultures? Ou sont-ce tout simplement des gens curieux, ouverts, qui évoluent comme nous, et qui grandissent, loin des conventions du monde et de la raideur de la France? Ma cousine me le disait: on évolue tous. À nous, qui rentrons de l'étranger, de ne pas cataloguer les personnes qui sont restées en pensant qu'elles n'ont pas bougé; pour la plupart, c'est faux. Le 7 janvier au soir, dans notre petit nid de marmottes du 19ème arrondissement, près du canal St Martin où Amélie Poulain aimait tant lancer ses galets, 35 personnes s'engouffrent sous les toîts pour échanger bonheur et rêves. Party de “retour”; pour la première fois, je ne plane plus toute seule et notre vol en formation me fait voir mille couleurs au sol que je ne voyais pas encore.
Le lendemain, 8 janvier, après 3 heures de sommeil, c'est le départ pour le Nord de la France. On l'a dit, on le fera: on veut connaître autre chose que Paris. La capitale nous happe, nous stresse, alourdit nos aîles de ses milles sollicitations qui ne vivent que dans l'immédiateté et nous empêchent de voir le paysage, de sentir l'air qui prend nos aîles et de gouter la fraicheur qui nous entoure. Alors on va faire un repérage, toujours sans se poser, du côté de Sibiville, de Seclin et de Lille. Et, là aussi, on trouve des gens qui planent, dont la légèreté est intense et belle et tellement pleine d'amour qu'il en pleut partout alentour. Mon coeur au contact des créateurs de Sibiville s'emplit plus encore que je ne le présentais de volonté d'espoir. Voilà un terrier qui me plait. Proche de Bruxelles, où nous faisons d'ailleurs un saut pendant deux jours, proche de Paris, où tant de gens aimés seront faciles à visiter; un terrier où le contact est aussi facile qu'avec la bande à Biloutte de Montréal, aussi passionnant qu'avec le chevalier ardent, et si prometteur de projets qu'on aura dans quelques mois tant de choses à partager avec les inclassables et leur woolite et évidemment Monsieur Côté. Si personne ni nulle part n'est interchangeable, voici au moins un lieu où notre équilibre, me semble-t-il, pourrait être similaire à celui de Montréal, dans sa légèreté et sa positivité. Alors on touche terre comme lors d'une migration d'hiver vers des terres de soleil, on prend quelques adresses, on se renseigne sur les paperasses, on rencontre quelques aides, et on reprend notre vol libre au-dessus de ce petit coin du Nord de la France, chez les chtis, où nos aîles nous porteront à partir du 28 janvier, dans une semaine seulement: Lille. Projet dans l'Économie Sociale et Solidaire pour moi à côté de mes cours de langues et de mes cours de soutien pour gagner des sous, pistes dans le jeu vidéo et les agences de communication qui foisonnent dans ce “hub” de l'Europe pour Nico; et bientôt, peut-être, la radio associative, les kinos: tout ce qu'on aime et qu'on a gardé en nous et dont la légèreté a aidé notre vol plutôt que de l'entraver.
En planant dans notre migration vers notre ancienne terre, sans se figer dans la crainte, en acceptant la perpétuelle et nécessaire évolution de soi et des autres, et la beauté d'un éternel apprentissage du monde, on ne se retrouve pas tels qu'on était et notre terre non plus. Tout est ajustement. Notre terre et les autres, on les trouve à nouveau, on re-crée avec eux différents liens un peu plus beaux et riches qu'avant. On trouve un lieu et des projets qui semblent vouloir nous faire vivre. Et on se trouve nous même, un peu plus, différents, chaque jour.
Parfois, comme il y a quelques jours à Paris quand on nous refuse le RSA et qu'on nous complique l'accès à une couverture médicale, on traverse un nuage. Notre légèreté d'être heurte le mur de la lourdeur du système et étouffe notre regard qui de paysage ne voit plus que du flou. On prend un trou d'air, on tombe presque jusqu'au sol. Notre terre voudrait elle nous rejeter après toutes ces années d'absence? Tout est si lent qu'on nous oblige à courir pour multiplier les opportunités. Comme si le calme était ici anormal, que vivre dans le conflit était la seule convention acceptable. Formalisme et mauvaise humeur des autres, difficultés financières... Mais Nico et moi planons ensemble et nous relevons l'un l'autre vers un ciel de soleil; et d'autres planent avec nous qui nous aident à garder notre légèreté, parfois de très très loin, comme le chevalier ardent qui m'écrit; parfois de bien plus près, comme la Née et son homme qui nous rappellent la belle douceur de vivre, quoiqu'il arrive. Humour, et patience. À côté de moi dans le train qui m'emporte à Rennes pour la fin de semaine, une jeune fille lisait hier un livre dont le titre annonçait “Le travail créatif: s'épanouir dans l'incertain”. Voilà un beau projet. Le vol, jusqu'ici, est magnifique et plein de couleurs. Puisse-t-il continuer à porter nos espoirs et puisse-t-on vous rencontrer dans nos cieux. Après tout, les nuages font partie de la beauté du ciel. Les Bretons le savent bien, les Québécois aussi.
samedi 15 janvier 2011
Planer pour (se) (re) trouver
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