mercredi 2 février 2011

Crois[é] des énergies

Hier, j'ai appris quelques notions de phonétique : la fameuse organisation des "phonèmes" à laquelle personne autour de moi n'a jamais rien compris. Phonème: "la plus petite unité discrète ou distinctive (c'est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres) que l'on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée" (wikipedia). En Français dans le texte? Le phonème c'est... un son, transcrit par un signe entre des crochets, comme dans le titre de ce message. Dans la langue française, il y 26 lettres, 37 phonèmes et plus de 130 graphèmes, c'est à dire occurrences graphiques de ces sons. Domaine fascinant que l'apprentissage des langues, dans lequel je rentre petit à petit au cours de ma formation cette semaine, offerte par la compagnie qui m'embauche à mi-temps pour donner des cours d'anglais en entreprise par Internet. Conception des mots et création du sens (phonologie!), souplesse de l'oreille et naissance de sons nouveaux (dyphtongues par mélanges de voyelless; différences de sons entre un souffle bloqué sur le palais ou sur les dents, ce qu'en français de France on ne fait jamais, mais en français du Québec, oui), plongée dans une culture et un mode de pensée.

Apprendre une langue à l'autre et lui montrer comment jouer avec les mots. Comment comprendre l'humour d'une contrée ou d'un peuple, premier signe, dit-on, de l'assimilation d'une autre manière de voir la vie. Exprimer des nuances qui dans l'autre language n'existent simplement pas, penser plus haut, penser plus loin, car on a plus de mots, qui disent plus de concepts et plus de sentiments. Et par là-même, et en même temps, entraîner son esprit à la souplesse d'un possible éternel apprentissage. Car un esprit formé à apprendre des langues en est un formé à entendre une autre réalité et à tenter de la comprendre. Avoir "l'oreille", comme on dit, est simplement l'acceptation de la différence: du son, du sens, de l'essence. La devise de la compagnie, "Lernen ist leben" ("l'apprentissage, c'est la vie"), vient renforcer ce sentiment qu'une énergie fondatrice pourrait bien ressortir d'un emploi qui ne devait être qu'un gagne-pain - si du moins les grands idéaux de mes collègues et patrons survivent vraiment, maintenant et dans le futur, au grandes tentations dévastatrices du capitalisme.

Le capitalisme, je continue de le fuir. En France, pour l'éviter, il faut crier après, très fort, plus clairement encore qu'au Québec, si on veut se faire entendre; car les acteurs de ce que l'on nomme ici "l'Économie Sociale et Solidaire" et ceux de "l'Économie Solidaire" n'ont pas la même légitimité d'emblée qu'ils semblent avoir au Québec. Encore cette vieille manie gauloise d'offrir à tout nouveau mode de pensée la défiance avant de lui accorder la confiance (héritage catholique?), encore ce vieux complexe si bien nommé par un ami "d'inferiorité surcompensée" qui pousse une majorité de Français, par trouille du système et donc des autres, à se mettre en compétition plutôt qu'en collaboration. Compétition agressive car incertaine, quand au Canada anglophone elle est sûre d'elle, et donc elle-même collaboratrice. Comme le disait E.T. Hall, on connait en Amérique le principe du "win-win" où la réponse à un problème donné peut être gagnante pour tout le monde; ici, on est dans le "win-lose": pour réussir, gagner, il faut faire perdre l'autre. Dépense(s) d'énergie(s) improbables qui nous donne l'air de sans cesse nous agiter.

L'énergie, pourtant, peut être positive. Et quand elle l'est, elle le devient plus encore; le bon vieux cercle vertueux fonctionne! Peu importe le lieu, ou l'époque. Pour Nico et moi, en ce moment, c'est le Nord de la France: nous sommes à Lille, ou plutôt à Tourcoing, depuis presque une semaine, logés avec bonheur et reconnaissance par d'autres "coloriés" de notre tribue, pour reprendre le titre du roman d'Alexandre Jardin (avant sa descente dans des contrées obscures avec "Fanfan 2", dont le titre ne m'a évidemment pas donné envie d'ouvrir la couverture). On parle souvent de "croisée des chemins". Certes, mais sur un chemin, on peut se croiser et que rien ne se passe. L'important, c'est la croisée des énergies. Certains ne croient pas à l'énergie vitale, quelle qu'elle soit, et prétendent que ceux qui la perçoivent se mettent des oeillères... Conversation infinie à ce propos dans un café l'autre soir avec certains collègues de ma compagnie de cours de langues. Pour d'autres, pourtant, c'est évident; car ils l'ont vécue, cette énergie, et la vivent encore. Parfois en passant par des périodes inattendues, profondes et douloureuses qui portent le malheur mais aussi la remise en question. Parfois, aussi, par des périodes d'étranges coincidences où tout s'arrange au mieux, comme pour Nico et moi cet été quand nous avons fait le tour de l'Amérique en van, notre chat et nos affaires gardées par nos amis, et nous logés par tant de gens, et où nous vient à la bouche l'expression "j'ai toujours eu de la chance".

La chance, on ne l'a pas; on la crée. On la provoque. Elle répond à la chance, elle répond au bonheur, elle répond à l'énergie positive qui fait tomber les peurs - celle dont je parlais il y a quelques semaines, celle qui porte dans le ciel au lieu de faire tomber. Celle qu'on trouve en soi. Mais parfois, aussi, à la croisée des énergies. Là où un regard croisé sur un chemin se met soudain à devenir des mots, et où des mots deviennent des projets. La providence met toujours sur nos routes des êtres aux énergies complémentaires aux siennes, c'est l'harmonie du monde. Ne reste alors qu'à "avoir l'oreille". À croiser les énergies: la sienne avec celle des autres, comme Nico a fait en lançant son fou projet de court métrage en 2 mois, ou comme j'ai fait en acceptant il y a quelques jours de me lancer dans un projet de restructuration d'un des "acteurs de l'économie solidaire" dans une équipe bénévole; celles des autres avec celles d'autres encore, en mettant en lien des êtres dont on sait qu'ils pourraient bien avoir des choses à vivre ensemble, comme ça a été le cas pour moi que ce soit dans le cas de mes cours d'anglais ou dans le cas du projet bénévole. Les flux positifs qui se mettent en place dans ces croisées d'énergie nous font grandir et font grandir les autres, et font grandir l'humanité vers le bonheur serein d'une harmonie inattendue. On m'a souvent dit qu'on tombe amoureux, mais qu'on décide de le rester, en construisant ensemble. Comme le font ceux de l'île des Gauchers, encore d'Alexandre Jardin. Pour le reste, c'est pareil. Être heureux avec les autres, ça se construit: s'écouter, se partager, créer ensemble. Et dans ces choix, qui font la vie, ne devraient finalement jamais entrer en compte ni la distance (2, ou 10.000km?), ni l'argent (salaire ou pas salaire?), ni la difficulté, ni la peur de l'échec, ni le découragement du temps qui passe; au bout du compte, croiser positivement ses énergies crée des situations où toutes ces peurs se trouvent ridiculisées par le nombre d'opportunités qui s'ouvrent à nous...

Partout au monde et aujourd'hui aussi dans "ce plat pays qui est le mien", la providence a mis sur mon chemin et sur celui de Nico des être rares qui avec nous croisent sans angoisses leurs énergies vitales. Ces flux sans fin qui s'auto-alimentent nous surprennent journellement: nouveau boulot incroablement flexible pour moi (je travaille d'où je veux et 20h par semaine!) sans même l'avoir cherché (mais non sans avoir travaillé pour l'année dernière. Encore une fois, tout est question d'implication de soi...), verre jusqu'au crépuscule avec des amis d'amis qu'on pressent qu'on reverra et avec qui quelque chose pourrait bien se construire, veillée jusqu'au milieu de la nuit dans une famille qui sans être la nôtre nous accueille comme ses enfants, projet de bénévolat qui s'intègre parfaitement dans mes objectifs et mon planning pour moi, soirées "Bidouille" pour Nico où la vie seule sait quels bidouilleurs improbables il rencontrera. Et comme ces énergies qui nous viennent de partout nous emplissent encore plus de confiance malgré la nécessaire et présente nostalgie de l'avant, de l'énergie de nous aussi sort et transpire, imprègne les autres et imprègne les lieux... Et crée des lignes de vie, comme celle de Sibiville.

Évidemment, tout cela crée de la fatigue, non pas psychologique cependant, mais presque physique. On ne donne pas de soi à ce point sans une nécessaire intensité éreintante. Ce soir, ainsi, je suis rompue. Mais l'énergie des autres nous regonfle, et quand ce n'est pas le cas immédiatement, il est aisé de se ressourcer dans un moment de solitude qui nous emplit d'une énergie nouvelle à partager avec les autres. En écrivant, par exemple...

Croiser des énergies, c'est, quelque soit la longueur du vol, ne pas tomber dans le marécage. C'est oublier parfois la souffrance pour penser à construire. Partager avec intensité tout en se recentrant sur soi pour mieux s'épanouir. Croisez-vous, donc; croisez vos énergies - avec nous, si vous le voulez! Même par delà l'Océan.

Magie de la phonétique : d'un seul phonème sont sortis trois graphèmes. Croisée, croiser, croisez. Richesse de la langue, richesse du sens.