dimanche 18 décembre 2011

1, 2, 3 : chacun sa vie !


Et une vidéo de Colline au Réveil: mot de passe: colline



 A vos marques, prêts ? Partez ! 9h10, lundi matin : départ chez la nounou. Bras dans une manche et bonnet de travers, Colline râle un peu que je lui mette son manteau, puis me regarde attentivement quand je lui dis : "on va chez Salma"; et là, elle me sourit de toute sa bouche (à défaut de toutes ses dents)... Alors qu'elle n'a que 2 mois et demi ! Arrivée chez Salma, c'est à elle qu'elle sourit, encore. Hadia, fille de Salma, 15 mois, accueille Colline les bras ouverts en titubant vers la porte d'entrée: "Bé-bé!", dit-elle, heureuse. Elle va pouvoir, comme tous les jours, faire de petites caresses sur le visage et les mains de Colline et faire le gué près de son transat, et bien sûr lui chanter des chansons et des comptines en dansant devant elle.

2 semaines ont passé depuis que Colline a passé sa première journée chez sa nounou. 2 semaines Colline a sa vie et moi la mienne. Et voilà que je croise l'autre jour la maman de Raphaël, petit garçon de 12 mois gardé lui aussi par Salma. Et tout à coup je me rends compte: Colline la connaît bien, cette maman-là. Elle la voit tous les jours! Et moi, c'est la première fois que je la croise. Ma fille connaît des gens que je ne connais pas; comme c'est étrange, quand on sort d'une période de 2 mois et demi de fusion totale à être ensemble 24h / 24, sauf garde exceptionnelle pendant une heure ou deux. Là, c'est 8h par jour que nous passons chacune de notre côté. Chacune fait ses rencontres et ses découvertes; et chacune, le soir, raconte à l'autre.

Raconte, oui. Je me surprends hier à dire à la pharmacienne que notre fille "parle". Certes non, ce n'est pas des mots qu'elle utilise pour s'exprimer. Mais quand, le soir, je la ramène à la maison, et que goulûment elle m’attrape le sein pour téter après une journée à goutter mon lait au plastique de la tétine, elle me dit tant de choses... Par son regard, d'abord; plongé dans le mien, absorbant mes paroles, profond jusque son âme. Puis, quand elle est un peu repue et peut un peu attendre, par ses "pauses-sourires" au milieu de la tété. Elle décroche, lève la tête, me regarde encore, et dit "aheuh" à toute berzingue en souriant autant qu'elle peut. Puis c'est "papa qui rentre", ce moment si intense où j'entends l'ascenseur et où Colline s'agite en entendant son papa qui arrive. Après, on discute tous les trois. 1, 2, 3: chacun nos vies.

Nico raconte sa journée au travail; je raconte ma journée de travaux, de rencontres ou de ré-éducation. Colline nous regarde, se marre franchement, répond aux "coucou" par des "aheuh", parfois pendant plus de 30mn. Quels échanges ! Qu'est ce que ce sera quand elle parlera ! Déjà dans quelques semaines elle chantonnera sans doute à son tour, produira de nouveaux sons et fera de nouveaux gestes qui la confirmeront aux yeux du monde comme la personne à part entière qu'elle est déjà. Quant à moi, dans quelques semaines, j'irai à nouveau quotidiennement au boulot, puisque j'ai trouvé ma place en tant que consultante stratégie / RH / organisation interne pour des structures ESS (associations, coopératives, collectivités) dans l'équipe de Multicité; 2012, ça promet !

jeudi 1 décembre 2011

Le temps d'un (petit) bébé

Colline à la maternité à 1 jour, le 29 septembre 2011

7h, le réveil sonne. Comme souvent, je le repousse: pas envie de me lever. Nico, à côté de moi, dort encore; la plupart du temps, il n'entend pas le réveil et c'est moi qui lui dit d'ouvrir les yeux. Colline, dans sa chambre, dort aussi. Étrange, je me dis: d'habitude, quand on se lève, on pense souvent à ses souvenirs de la veille au soir. Là, je pense à cette nuit. À mon lever à 5h du matin au son des petites plaintes de ma petite fille affamée. À peine un cri, pas même le temps de pleurer: je suis déjà réveillée. Avec ou sans boule-quiez; il paraît que c'est les hormones. Or donc, me dis-je, quelle étrangeté de penser que depuis sa naissance, mes matinées sont rythmées par le souvenir de mes nuits, et non le souvenir de la veille. Mon temps a donc changé - il s'est comme "dédoublé", et donc en un sens rallongé. J'ai un temps de plus qui s'est callé entre le soir et le matin : celui du demi sommeil automatique dans lequel je me rends dans la chambre obscure de Colline, la prends doucement dans mes bras sans lui parler pour ne pas trop l'éveiller, puis m'assois sur le futon et la prends sur mes genoux pour lui donner mon sein. Puis 10 à 20mn de somnolence, pour elle et pour moi, où ma main de temps en temps vient caresser sa joue ou titiller son cou pour m'assurer qu'elle tête encore et ne s'est pas endormie, téton en bouche.

Le temps d'un bébé n'est pas celui de l'adulte; surtout à quelques semaines. D'un rapide calcul, Nico me disait l'autre jour qu'une semaine de son temps équivaut dans sa perception à quatre ans de notre vie. Elle a si peu vécu que chaque minute compte double, triple, dix fois plus. En retour, notre temps change aussi. Il est plus fragmenté, adapté au changement perpétuel d'humeur et de fatigue du petit être qui nous accompagne. La voilà qui ouvre les yeux et regarde partout; 15mn plus tard, elle pleurera de fatigue. Profiter de ces 15mn demande de savoir s'arrêter de tout faire, sans attendre, quand Colline nous prête de l'attention. Prendre soin de notre fille demande aussi de savoir s'arrêter de tout faire, sans attendre, quand Colline veut manger, être changée ou câlinée; c'est exigeant. Comme je le disais auparavant, un tout petit bébé ne sait pas attendre.

Mais surtout, le faire attendre revient à ne pas le connaître. C'est en suivant ses rythme par une fine observation qu'on arrive à passer des moments de partage, surtout tout au début. Quel effort, pour un adulte qui a ses propres occupations ! Quel sacrifice de sans cesse s'arrêter de tout faire, et d'être tant à l'écoute.

Mais pourtant quel plaisir d'avoir en retour des regards, et bientôt des sourires ! Le temps parait long sur le moment quand on ne fait pas "ce que l'on veut" mais l'on se rend vite compte que le temps paraot court quelques semaines plus tard quand on réalise que ses temps d'éveil sont déjà deux, trois, quatre fois plus longs que lors de ses deux premières semaines, et que déjà elle fait presque ses nuits (elle se couche à 20h au lieu de minuit!), et que déjà elle ne rentre plus dans ses pijamas. Le sacrifice était bien temporaire, et on en rit. Tout le monde le dit, mais on le vit: le temps passe vite, avec un enfant. A peine avez vous eu le temps de vous adapter qu'il ou elle a déjà changé, sans que vous de votre côté ayiez encore repris de l'activité. Quel exploit que de grandir....

Comme pour toutes les mamans, les premières semaines m'ont parfois paru difficiles, par la dépendance au bébé qu'elles impliquent, surtout quand on allaite. Avoir un bébé sur le sein pendant 3 à 4h par jour n'est pas rien, quand on pense que ce temps est passé immobile pour ne pas avoir mal aux seins, et les yeux dans les yeux pour rassurer bébé et l'aider à grandir sereinement et à s'épanouir. Si possible pas de TV, pas de bouquin, même si parfois on transgresse. Oui, ça parait long, cette liberté encadrée. Mais alors vient le temps de la nounou, quelques semaines plus tard - ou, pour certains, de la crèche. Le temps de tirer son lait si on veut comme moi continuer à le donner, ou le temps de sevrer son bébé pour beaucoup. La liberté désencadrée, le temps de faire ce que l'on veut. Et tout à coup on réalise que ces deux (ou trois) mois sont passés vite et que l'effort en valait bien la peine. Les 3 ou 4h par jour se résument finalement à 240 heures sur deux mois, ou 360 heures sur 3 mois, ou 720 heures sur 6 mois si on tire son lait. Total ? L'équivalent de 30 jours... Sur une vie qui en fait 28.800 ! (pour 80 ans). Ce que ça représente? 0,1/100 de votre vie.

samedi 19 novembre 2011

Rendre la confiance plutôt que de la perdre




Mise à jour du 24 novembre : en relisant ce texte, je me rends compte de l'injustice d'un commentaire : "tant de gens autour de nous nous prodiguent des conseils tous plus inadaptés les uns que les autres"; d'abord, c'est faux, car nombre d'entre vous nous ont donné des conseils fort utiles. Et puis, tous les conseils sont appréciables, en ce qu'ils marquent l'affection que nous porte celui qui le prodigue. Alors, continuez! On suivra ou pas... On fera au mieux pour nous trois.

Le 28 septembre 2011 à 17h21 se faisaient entendre les premiers cris (tonitruants!) de celle que nous attendions depuis 8 mois et demi, de celle à qui nous donnons sans attendre le prénom, choisi d'avance, de Colline. Nom controversé au Quebec... Nous n'y avions pas pensé ! Née 2 semaines en avance : déjà pressée de vivre, dirait-on ! À moins que ce ne soit sa maman qui lui ait soufflé qu'elle était pressée d'en finir avec la grossesse, car 50cm et 3kg675 de petite fille dans un corps de 1m57 et, à l'origine, 48-49kg (devenus à la fin 64kg, pour une circonférence d'1m05!), ça commençait à faire beaucoup. Allongée sur la table d'accouchement et épuisée par 14h de travail (dont 7 sans péridurale), j'avoue mon étonnement et un certain décontenancement devant l'expression si vivace d'une telle énergie. Ma petite fille me manquerait-elle d'amour ? Mais non, me disent vite les (formidables!) sage-femmes : elle est en parfaite santé! Si elle crie, c'est qu'elle s'exprime ! On s'imagine mal quelle épreuve représente l'accouchement pour le nouveau né.... Elle aussi a vécu ces 14 heures si épuisantes.

Quelques heures plus tard, dans la chambre de la maternité Saint Vincent de Paul à Lille, elle récupere, et moi aussi, de cette épreuve. Beaucoup de sommeil pour elle ces premiers jours; entrecoupé de moments d éveil tres brefs ou elle ouvre les yeux et nous fixe de son regard flou, cherchant a comprendre ce qu'est ce monde et qui nous sommes. Elle pleure peu - ou jamais sans raison : faim, froid, sont ses premieres découvertes hors de cet espace si protegé qu'elle vient de quitter. Je découvre quant a moi la force d'une mere; celle de se lever malgre la douleur et la fievre, sans réflechir, pour s occuper de son enfant, alors qu'on le (la) connait pas encore. Il nous faudra encore 1 semaine et demi, dont 4 jours a la maternité entre les médecins et les visites, heureusement accompagnées nuits et jours par Nico qui peut dormir sur place, puis 1 semaine a la maison dans le chaos logistique du début, pour nous remettre completement du plus gros de notre fatigue. Puis un jour, alors que je commence tout juste a pouvoir m'assoir et que je souffre un peu moins, Colline ouvre les yeux. Pas un instant fugace, comme il y en a eu a la maternité, entre 2 périodes de sommeil de 3 ou 4h - non, cette fois, c est un véritable éveil, et un regard qui demande a ce qu'on s occupe d'elle. Moi, epuisée : que fait on avec un enfant si jeune qui demande une présence et un dialogue, et qu'on ne connait pas ? On apprend a la connaitre.

Alors, les jours qui viennent, pendant les 4 semaines que j ai passées a la maison avant de partir en voyage (déja !) avec notre fille, elle et moi apprenons a nous connaitre. Sur le tapis d'eveil preté par des amis, a meme le sol, elle s'etire, s'étend, se détend. Elle observe. Fait des bruits. C'est decontenancant. Suivant les conseils de ma mere, je lui parle, lui souris, lui explique ce que je fais quand je ne m'occupe pas d elle. Puis, petit a petit, elle demande plus d'attention. Serait ce qu'elle s'est attachée a nous et reclame notre amour alors qu'elle ne faisait avant que réclamer qu'on réponde a ses besoins primaires ? Est-ce le fait que nous avons du monde a la maison tous les weekends et poussons meme jusqu'a sortir avec elle jusqu'a Dunkerque, puis Bruxelles? De pleurs de froid et de faim, ses pleurs commencent vers 2 semaines et demi a changer et a s'allonger. Nous ne savons plus, parfois, la consoler. Je dis alors en riant que, si elle tient de son pere par la taille (son taux de croissance depuis la naissance bat tous les records!), elle tient peut etre de moi par le caractere; elle hurle parfois a s'en casser la voix, sans avoir faim ni autre besoin specifique. Fatigue, surement; et aussi, nous l'apprenons bientot, besoin de reperes.

Voila sans doute le plus grand des defis de cette naissance : alors que nos reperes sont completement brisés, nos emplois du temps chamboulés par un etre qui ne peut, qui ne sait attendre (l'heure de mnager, c'est l'heure de manger!), que nous sommes perclus de la fatigue de devoir nous adapter a la presence d une nouvelle personne qui a besoin de notre attention quasi constante, perdus dans la logistique des couches et des lessives, des repas preparés d'une main pendant que l'autre bras porte Colline; alors que nous ne pouvons plus prévoir si nous dormirons bien ce soir ou si nous pourrons voir un film... Alors que nous perdons confiance car nous ne savons pas encore etre parents et que tant de gens autour de nous nous prodiguent des conseils tous plus inadaptés les uns que les autres, alors que notre chez nous ressemble a un bateau dans la tempete au milieu des habits de bébé qui sechent, de la vaisselle qu'on n'a pas le temps de faire, du ménage pas fait non plus, et de tout un bardas qui traine... Alors que ce manque de repere, de confiance et de calme est a son comble a minuit et des poussieres quand Colline hurle un desespoir qu on ne comprend pas...

Alors c'est la, justement, qu'il faut trouver le calme interieur. Retrouver la confiance. La rendre a celle, Colline, qui la perd parfois devant tant d'inconnu. Et donner des reperes. Pas de faux semblants : un bébé sent le stress, éprouve la fatigue de ses parents et souffre du manque de reperes dans son nouvel environnement. Il lui faut des piliers pour l'aider a voir plus loin que sa peur de ce monde encore inconnu. Alors on devient parents. L'amour prend le dessus et la patience s'installe. On n y est pas encore, chaque jour est un bout du chemin - sans fin. Mais au moins a t on decidé du pas qu'on voulait y mettre, meme si parfois encore on l'oublie - le pas de l'écoute, de la decouverte, de l'humour aussi, pour ne pas dramatiser ce qui n a pas besoin de l'etre. Et le pas de l'equilibre entre nos besoins et les siens, dans le respect de sa personne. Car Colline a beau n'avoir que 7 semaines, Colline est Colline. Et son temps est son temps, et a son rythme: temps de regards, temps de sourires depuis peu (magnifiques !), temps de sommeil parfois (tres) difficile a trouver, peut etre par trop de curiosité pour la vie qui continue autour d'elle quand elle dort. Alors elle hurle parfois dans nos bras, mais sent, contre son sein, aux heures ou on s'en sent encore la force, la ré-assurance du calme de ses parents.

Rester soi meme, tout en gagnant la sagesse et la richesse de celui qui rassure... C'est peut etre ca, etre parent. Et Colline, qui est-elle donc? Vivement qu'on la connaisse mieux encore, quand elle répondra a nos sourires, puis a nos mots et a nos pas, et vivement qu'on la redécouvre chaque jour, pour le reste de nos vies. Et qu'elle, avec nous, découvre le monde.

mardi 20 septembre 2011

(Très) bientôt

Mise à jour du 23 septembre: depuis trois jours, encore des superbes visites de Anne, Noémie, Thérèse, Stéphane, Marjolaine, Caro, Sophie; je n'ai pas le temps de m'ennuyer. Quel plaisir de vous voir, merci !

 20 septembre, j'ai passé les 8 mois : plus que trois semaines avant la date présumée d'arrivée de notre ti-pou ou tite-poune, comme disent nos amis Québécois. L'enfant a pris tellement de place et de poids dans mon corps que j'ai la sensation de n'être plus qu'un ventre. 13kg (28 livres) depuis le début de ma grossesse - 1m04 (41 pouces) de circonférence ce matin, contre 94cm il y a 3 mois et 1m02 il y a à peine 10 jours.


Plus le temps avance et plus sa croissance (du bébé et donc de mon ventre!) est exponentielle. Il paraît qu'à ce stade, la maman ET le bébé ont hâte d'être plus libres de leurs mouvements. Je veux bien le croire... Les miens sont engourdis au niveau des mains (nerf carpien écrasé) et lourds et lents pour le reste de mon corps; je me cogne souvent les pieds et jambes car je ne les vois plus, et suis fatiguée plus souvent qu'à mon tour. Sans compter les inombrables contractions, surtout en fin de journée; apparemment, j'y suis plus sensible que la moyenne! Je n'ose penser à ce que ressent bébé, écrasé(e) et tout(e) plié(e) entre mes côtes et mes jambes; il essaye bien parfois de s'étirer, mais c'est sans grand succès à part celui de me provoquer d'intenses douleurs dans le bas ventre ou dans les côtes pendant quelques secondes. Le film "Un heureux événement" dont j'ai vu hier la bande annonce semble bien retracer certains des symptomes bizarres de grossesse qu'on s'imagine mal. Espérons que la suite, après la naissance, soit plus gaie que la bande annonce ne le laisse entendre !


Heureusement, chaque visite à la maternité (pour les cours de préparation à la naissance, notamment) me rassure: équipe chaleureuse, encadrement médical compétent, très à l'écoute de la femme enceinte et de ses désirs pour l'accouchement. Le système médical français me laisse admirative, surtout quand j'entends qu'au Québec les femmes sont renvoyées chez elles souvent dans la journée même de l'accouchement, alors qu'ici on est accueillis (la femme, le bébé et même, dans ma maternité, Saint Vincent de Paul, le papa!) pendant 3, ou même 4 jours (ce sera mon cas), le temps "d'apprendre à s'occuper de son bébé" - le temps, entre autres, de "mettre en route" l'allaitement ! Alors certe, le congé maternité ne dure que 16 semaines, contre 1 an au Québec, mais... On ne peut pas tout avoir. Et puis, le boulot de Nico, à 5mn à pieds, nous laisse le temps de voir venir, et le temps pour moi de décider de ce que je veux faire de ma vie professionnelle pendant les premiers mois du bébé, après la fin du congé maternité fin décembre (congé maternité théorique tant que la sécu ne m'a pas répondu sur mes droits... Mais je commence à avoir l'habitude des 2 ou 3 mois de délai, haha!)

Entre-temps, en ce moment, mes réponses aux emails et aux coups de téléphone se font plus rares à mesure que le temps avance, non que je ne pense pas à vous tous que j'aime, bien au contraire - mais simplement car le temps se fait rare entre les inombrabres siestes qui tentent de réparer un sommeil de nuit trop léger, bien que pas inexistant (j'ai la chance de pouvoir encore dormir sur le côté grâce à un bon matelas). Je n'ai passé que 2h debout hier, contre presque 10h au lit pendant la journée! Exceptionnel quand même, d'habitude je dors moins que cela, mais j'avais du sommeil à rattrapper après ce weekend. En tous cas, je suis dans un état un peu second, prête à chaque instant pour cette grande étape et en même temps jamais complètement prête. Sans compter les aléas du quotidiens, qui prennent une ampleur importante et toute situationnelle : Nico qui s'est bloqué le dos le week-end du 11 en posant du parquet flottant (heureusement, ça va mieux!), moi et mon intoxication alimentaire de samedi dernier qui m'a empêchée de dormir toute la nuit... À peine reposés, nous voilà à nouveau fatigués ! Pourtant, ce n'est que le début de l'aventure.

(Très) bientôt, nous serons trois. Comment l'imaginer? Qui sera cet enfant? Comme le dit le poème du libanais Khalil Gibran, recopié et encadré pour ma mère  par ma tante  (sa soeur jumelle) à l'occasion de la naissance de mon frère ou la mienne, en 1979 ou 1981: "Vos enfants ne sont pas vos vos enfants."

Et de continuer ainsi:

"Ils sont les fils et les filles
De l'appel de la vie à elle même.
Ils viennent à travers vous, mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous,
Ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour
Mais non pas vos pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps
Mais pas leurs âmes
Car leurs âmes habitent la maison de demain
Que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux
Mais ne tentez pas de les faire comme vous
Car la vie de va pas en arrière,
Ni ne s'attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants
Comme des flèches vivantes sont projetées
L'archer voit le but sur le chemin de l'infini
Et
Il vous tend de sa puissance pour que ses flèches
Puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'archer
Soit pour la joie
Car, de même qu'il aime la flèche qui vole,
Il aime l'arc qui est stable."

Fille ou garçon? Joueur (joueuse) ou sérieux (sérieuse) ? Timide ou téméraire? Et tellement d'autres qualificatifs, qui évolueront au cours de sa vie à nos côtés, nous qui auront la chance de le ou de la voir grandir.

En attendant, le temps se passe entre le fignolage du nid (pour ceux qui ont lu les Marsupilami, celà devrait vous parler!) et les indispensables temps à deux dont nous essayons de profiter au maximum. Et puis, bien sûr, les temps avec nos amis, dont nous ne nous lassons pour rien au monde. Amis qui nous aident à tenir, à avancer, à construire... Comment aurions-nous pu finir "le nid" si Sophie, Alban, Céline et Alexis ne nous avaient pas aidé avec les peintures et la pose du parquet?







Nous voilà maintenant presque fins prêts, dans notre 3 pièces (4 1/2 pour les Québécois) ensoleillé du quartier du Grand Palais. Chipie nous a quitté récemment pour aller loger (confortablement !) chez ma tante. La braderie (sous l'eau ! ) est passée avec ses 3 millions de personnes les 3 et 4 septembre, où nous avons pu voir Julien et son ami Nico et inviter Caro, Marjo et les autres pour des crèpes, et une belle balade récemment au Cap Blanc Nez, tous les deux.






Les parents de Nico ont aussi fait suite aux miens pour nous rendre visite ce weekend, histoire de voir l'installation. Comme on dit en riant, on se croierait dans un appartement "d'adultes" tellement il est beau. Et quelle joie de penser à vous tous qui bientôt peut-être nous y rendront visite! Les portes vous sont toutes ouvertes, on vous attend !










jeudi 4 août 2011

Bourgeon

Le printemps s'est ouvert déja sur l'été et l'été cet année capricieux se ferme presque déjà sur l'automne qu'encore je me sens bourgeon qui a besoin de croître avant d'éclore. A la croisée des énergies, les semences se croisent parfois sur une terre favorable et font naître hors de leur propre contrôle la promesse d'une nouvelle aurore.

C'est là que je me pose. Que la fleur prend racine. Que je prends le temps du temps.

Car la vie ne croît vraiment que sur le temps long. Si Montréal m'a appris à voler, à me laisser porter par les vents vers mille rivages qui venaient sans douleur imprégner tout mon être en vagues incessantes et douces, la vieille Europe m'a ramenée en des lieux ou après avoir engorgé comme une éponge la richesse du monde on est capable de la faire germer. Les paysages deviennent des pages et les idées des projets, les intuitions des arts de vivre et les incertitudes des chances d'apprendre.

Pages, projets, arts de vivre et chances d'apprendre ont pourtant besoin de temps avant de s'exprimer clairement, surtout dans l'atmosphère de relative suspicion de ce vieu continent qui a peur de lui même. Ces avenirs concrets possibles poussent en nous dans le silence et l'absence de lien, dans l'inconscience du sommeil et le manque de relations humaines. Comme en creu, comme un manque qui vient se combler de soi même. Il serait faux de dire qu'aucune page ni aucun projet ne peuvent se construire rapidement et dans une dynamique commune; mais parfois, d'autres pages et d'autres projets ont besoin de solitude et de temps pour devenir solides et durables. De la richesse du vol qu'on a aimée dans le ciel, on apprend la richesse du sol et de la terre, des saisons et des rocs. On laisse ses racines enfin pousser un peu, juste ce qu'il faut pour savoir ou l'on est.

Autour de nous alors se dessine un paysage nouveau et inattendu: celui qu'on se dessine soi même. Il est plus douloureux dans les efforts qu'il demande à construire et moins surprenant peut-être au départ que ceux que l'on a croisés en planant sur le monde, mais ce sont ses détails qui tout a coup surprennent. La couleur chaude et douce de la fleur agréable poussée sans crier gare du mélange pourtant doux-amer des souvenirs enfin sortis des boites; la douceur renouvelée et rassurante de la lumiere qui filtre à travers les feuilles claires des arbres d'un chemin quotidien dont on avait peur il y a peu. On se retrouve comme on retrouve un vieil ami: un peu intimidé et sans toujours comprendre qui on est devenu; mais serein. On se retrouve en soi, sans pouvoir vraiment en parler a quiconque; car le bourgeon timide garde pour lui les plis de ses pétales et le sommeil qui le garde engourdi.

Bientôt pourtant et en toute discrétion, dans la douce lumière d'un soleil favorable, s'ouvrira le bourgeon et il deviendra fleur. Déja des paysages passés renaissent les pages présentes, l'écriture me reprend et le roman se déroule. Comme terrain pour planter mes racines j'ai choisi par hasard celui de mes ancètres proches et éloignés et je découvre en image et en vrai et d'une joie enfantine l'histoire de la rencontre des mes parents ou celle de l'épopée de l'entreprise de mon grand-père. De notre nouvel appartement au sol à retaper, investi le 1er juillet et pas encore ni repeint ni bien aménagé, qui fait face à l'école des Arts et Métiers de Lille, je regarde par les immenses et lumineuses fenêtres des deux chambres, de la grande cuisine ou du salon, passer les couches de nuages légendaires du Nord de la France, comme les regardaient mes parents et mes grand-parents. Après avoir connu Wazemmes et son bouillonnement de vie dans un dernier mouvement de quelques mois avant de nous poser, le calme parc Jean-Baptiste Lebas et la rue Brûle Maison deviennent aujourd'hui les piliers de mon lent quotidien, alors que j'accompagne Nico vers son nouveau bureau en claudiquant a travers le parc comme le bourgeon que je suis.

Mon immobilité relative alors que je porte en mon ventre un avenir inconnu, et l'été désert de la France en vacances, sont propices à la retrospection, à l'analyse consciente et surtout inconsciente des expériences des derniers mois, pour mieux me choisir en janvier une voie qui parle à mes aspirations: gestion de projets dans l'Économie Sociale et Solidaire, enseignement et formation; statut d'indépendante partageant mon quotidien avec les coroutiniers de mon espace de travail partagé, ou poste salarié dans une structure correspondant à mon état d'esprit. Et pourquoi pas, après tout, Bed and Breakfast, ou encore simplement un temps pour moi, pour écrire et publier, et pour celui ou celle qui s'en vient. Le destin ne se force pas: les réponses viennent quand elles ont bien mûri. J'attends l'automne pour ouvrir mes pétales, quand j'aurai donné la vie, en septembre ou octobre.

Le bourgeon, en attendant, s'épanouit. Mon ventre de jour en jour s'arrondit, avec pour l'instant 95cm de large pour 1m57 et 8kg en plus, sous la pression des petits pieds et des petites mains d'un nouvel être que j'apprends peu a peu a connaître, avant même qu'il n'ait pour la première fois respiré l'air de notre monde. L'image du bourgeon devient de fait très concrète, physiquement par la forme de mon corps, métaphoriquement par la vie que je porte, psychologiquement par la relation intime que j'ai avec moi même et avec mon enfant. Sentir ses réactions aux caresses et aux sons, a mon contact volontaire ou à mon environnement involontaire. Des petits coups, des coups plus appuyés, des étirements de ses membres qui tirent aussi la peau de mon ventre (douloureusement parfois) et qui voudraient presque dire “donne moi un peu plus de place!”, des mouvements que j'ose qualifier de tendres et qui répondent aux miens; d'autres plus frénétiques et qui marquent une angoisse (perdu son pouce?), ou même, souvent, un hoquet qui l'énerve et lui fait boxer tout ce qui l'entoure. Malgré les paroles et les gestes partagés, le toucher de mon ventre par d'autres dont Nico le premier, les explications des sensations que j'éprouve par un vocabulaire aussi varié que difficilement approprié, faire ressentir aux autres ce que ressent la femme enceinte est probablement aussi litteralement impossible que de faire ressentir la naissance à celui qui l'a oubliée ou la mort à celui qui ne l'a pas encore vécue, ou au moins risquée. Un état physique nouveau, mystérieux ou miraculeux, ni maladif ni quotidien, qui apporte à la richesse de la nature animale et mamifère de l'être humain.

Quel sera justement la nature de ce nouvel être? Quel sera le changement animal qui nous fera devenir parents? Mère, je le suis déja; maman, peut-être pas encore. Et la paternité, qu'est ce que ce sera pour Nico? Comment saurons-nous nous enrichir de ce cadeau vital sans nous renier ni chacun ni à deux? L'émerveillement du quotidien ne risque-t-il pas de nous faire oublier les autres richesses du monde? Déjà je fais des projets de voyages et des projets de vie, refusant à l'avance comme l'ont fait Fred et Céline d'oublier qui je suis. La vie m'a bien assez appris que c'est en étant soi même qu'on donne le plus aux autres, et je veux croire que la règle est aussi vraie pour son enfant et que c'est aussi la meilleure manière de le ou la pousser à être pareillement soi-même. Suivre son art de vivre, donc, quelque soit le regard, parfois le jugement, des autres, face à nos comportements parfois vus comme peu conventionnels, ou pour d'autres trop conventionnels.

Ainsi je vais sur mon chemin, gros bourgeon au ventre rond portant petit bourgeon sur petite tige pas trop grossie, poupée gigogne grace à la cigogne. La naissance me tarde parfois, malgré l'angoisse de l'accouchement médicalisé, quand je ne sais plus lacer mes chaussures à cause de mon gros ventre ou que le sommeil me fuit car j'ai trop mal au dos. Heureusement, les hormones sont là pour me garder sereine! Je pense alors avec humour au sketch de Foresti sur la grossesse, sur le pacte des femmes pour ne pas dire aux suivantes à quel point porter la vie peut parfois être dur, et je ris. Le plus dur n'est sans doute pas les symptomes, qui sont plus que compensés par la présence quasi permanente des manifesations de bébé (il / elle bouge presque 20h par jour!), mais l'ennui, qui vient de plus en plus au fur et à mesure que je peux en faire de moins en moins. Pas de sport, peu de marche, dur de se pencher, fatiguée bien trop vite, pas de fête ou de danse, la tête dans les nuages ou dans la brume de la fatigue chronique... Parfois, je ne me reconnais pas. Gare à ce que l'ennui ne devienne pas amertume et à ce que l'immobilité enracinée ne deviennent pas enquistée. Mais patience, patience: mes pétales sont presque prêts. La fleur sera bientôt prête à, à nouveau, prendre le vent, et à goutter les joies partagées de l'enracinement et de la liberté.

Qui sait alors où je serai portée? En kite au-dessus du port de Dunkerque dont j'observe aujourd'hui la digue et les vagues tricolores grises-bleue-vertes, ou en avion par-dela l'un des Océans, ou peut-être même, comme Philémon, sur l'une de ses lettres, dans le monde de l'imaginaire.



mercredi 2 février 2011

Crois[é] des énergies

Hier, j'ai appris quelques notions de phonétique : la fameuse organisation des "phonèmes" à laquelle personne autour de moi n'a jamais rien compris. Phonème: "la plus petite unité discrète ou distinctive (c'est-à-dire permettant de distinguer des mots les uns des autres) que l'on puisse isoler par segmentation dans la chaîne parlée" (wikipedia). En Français dans le texte? Le phonème c'est... un son, transcrit par un signe entre des crochets, comme dans le titre de ce message. Dans la langue française, il y 26 lettres, 37 phonèmes et plus de 130 graphèmes, c'est à dire occurrences graphiques de ces sons. Domaine fascinant que l'apprentissage des langues, dans lequel je rentre petit à petit au cours de ma formation cette semaine, offerte par la compagnie qui m'embauche à mi-temps pour donner des cours d'anglais en entreprise par Internet. Conception des mots et création du sens (phonologie!), souplesse de l'oreille et naissance de sons nouveaux (dyphtongues par mélanges de voyelless; différences de sons entre un souffle bloqué sur le palais ou sur les dents, ce qu'en français de France on ne fait jamais, mais en français du Québec, oui), plongée dans une culture et un mode de pensée.

Apprendre une langue à l'autre et lui montrer comment jouer avec les mots. Comment comprendre l'humour d'une contrée ou d'un peuple, premier signe, dit-on, de l'assimilation d'une autre manière de voir la vie. Exprimer des nuances qui dans l'autre language n'existent simplement pas, penser plus haut, penser plus loin, car on a plus de mots, qui disent plus de concepts et plus de sentiments. Et par là-même, et en même temps, entraîner son esprit à la souplesse d'un possible éternel apprentissage. Car un esprit formé à apprendre des langues en est un formé à entendre une autre réalité et à tenter de la comprendre. Avoir "l'oreille", comme on dit, est simplement l'acceptation de la différence: du son, du sens, de l'essence. La devise de la compagnie, "Lernen ist leben" ("l'apprentissage, c'est la vie"), vient renforcer ce sentiment qu'une énergie fondatrice pourrait bien ressortir d'un emploi qui ne devait être qu'un gagne-pain - si du moins les grands idéaux de mes collègues et patrons survivent vraiment, maintenant et dans le futur, au grandes tentations dévastatrices du capitalisme.

Le capitalisme, je continue de le fuir. En France, pour l'éviter, il faut crier après, très fort, plus clairement encore qu'au Québec, si on veut se faire entendre; car les acteurs de ce que l'on nomme ici "l'Économie Sociale et Solidaire" et ceux de "l'Économie Solidaire" n'ont pas la même légitimité d'emblée qu'ils semblent avoir au Québec. Encore cette vieille manie gauloise d'offrir à tout nouveau mode de pensée la défiance avant de lui accorder la confiance (héritage catholique?), encore ce vieux complexe si bien nommé par un ami "d'inferiorité surcompensée" qui pousse une majorité de Français, par trouille du système et donc des autres, à se mettre en compétition plutôt qu'en collaboration. Compétition agressive car incertaine, quand au Canada anglophone elle est sûre d'elle, et donc elle-même collaboratrice. Comme le disait E.T. Hall, on connait en Amérique le principe du "win-win" où la réponse à un problème donné peut être gagnante pour tout le monde; ici, on est dans le "win-lose": pour réussir, gagner, il faut faire perdre l'autre. Dépense(s) d'énergie(s) improbables qui nous donne l'air de sans cesse nous agiter.

L'énergie, pourtant, peut être positive. Et quand elle l'est, elle le devient plus encore; le bon vieux cercle vertueux fonctionne! Peu importe le lieu, ou l'époque. Pour Nico et moi, en ce moment, c'est le Nord de la France: nous sommes à Lille, ou plutôt à Tourcoing, depuis presque une semaine, logés avec bonheur et reconnaissance par d'autres "coloriés" de notre tribue, pour reprendre le titre du roman d'Alexandre Jardin (avant sa descente dans des contrées obscures avec "Fanfan 2", dont le titre ne m'a évidemment pas donné envie d'ouvrir la couverture). On parle souvent de "croisée des chemins". Certes, mais sur un chemin, on peut se croiser et que rien ne se passe. L'important, c'est la croisée des énergies. Certains ne croient pas à l'énergie vitale, quelle qu'elle soit, et prétendent que ceux qui la perçoivent se mettent des oeillères... Conversation infinie à ce propos dans un café l'autre soir avec certains collègues de ma compagnie de cours de langues. Pour d'autres, pourtant, c'est évident; car ils l'ont vécue, cette énergie, et la vivent encore. Parfois en passant par des périodes inattendues, profondes et douloureuses qui portent le malheur mais aussi la remise en question. Parfois, aussi, par des périodes d'étranges coincidences où tout s'arrange au mieux, comme pour Nico et moi cet été quand nous avons fait le tour de l'Amérique en van, notre chat et nos affaires gardées par nos amis, et nous logés par tant de gens, et où nous vient à la bouche l'expression "j'ai toujours eu de la chance".

La chance, on ne l'a pas; on la crée. On la provoque. Elle répond à la chance, elle répond au bonheur, elle répond à l'énergie positive qui fait tomber les peurs - celle dont je parlais il y a quelques semaines, celle qui porte dans le ciel au lieu de faire tomber. Celle qu'on trouve en soi. Mais parfois, aussi, à la croisée des énergies. Là où un regard croisé sur un chemin se met soudain à devenir des mots, et où des mots deviennent des projets. La providence met toujours sur nos routes des êtres aux énergies complémentaires aux siennes, c'est l'harmonie du monde. Ne reste alors qu'à "avoir l'oreille". À croiser les énergies: la sienne avec celle des autres, comme Nico a fait en lançant son fou projet de court métrage en 2 mois, ou comme j'ai fait en acceptant il y a quelques jours de me lancer dans un projet de restructuration d'un des "acteurs de l'économie solidaire" dans une équipe bénévole; celles des autres avec celles d'autres encore, en mettant en lien des êtres dont on sait qu'ils pourraient bien avoir des choses à vivre ensemble, comme ça a été le cas pour moi que ce soit dans le cas de mes cours d'anglais ou dans le cas du projet bénévole. Les flux positifs qui se mettent en place dans ces croisées d'énergie nous font grandir et font grandir les autres, et font grandir l'humanité vers le bonheur serein d'une harmonie inattendue. On m'a souvent dit qu'on tombe amoureux, mais qu'on décide de le rester, en construisant ensemble. Comme le font ceux de l'île des Gauchers, encore d'Alexandre Jardin. Pour le reste, c'est pareil. Être heureux avec les autres, ça se construit: s'écouter, se partager, créer ensemble. Et dans ces choix, qui font la vie, ne devraient finalement jamais entrer en compte ni la distance (2, ou 10.000km?), ni l'argent (salaire ou pas salaire?), ni la difficulté, ni la peur de l'échec, ni le découragement du temps qui passe; au bout du compte, croiser positivement ses énergies crée des situations où toutes ces peurs se trouvent ridiculisées par le nombre d'opportunités qui s'ouvrent à nous...

Partout au monde et aujourd'hui aussi dans "ce plat pays qui est le mien", la providence a mis sur mon chemin et sur celui de Nico des être rares qui avec nous croisent sans angoisses leurs énergies vitales. Ces flux sans fin qui s'auto-alimentent nous surprennent journellement: nouveau boulot incroablement flexible pour moi (je travaille d'où je veux et 20h par semaine!) sans même l'avoir cherché (mais non sans avoir travaillé pour l'année dernière. Encore une fois, tout est question d'implication de soi...), verre jusqu'au crépuscule avec des amis d'amis qu'on pressent qu'on reverra et avec qui quelque chose pourrait bien se construire, veillée jusqu'au milieu de la nuit dans une famille qui sans être la nôtre nous accueille comme ses enfants, projet de bénévolat qui s'intègre parfaitement dans mes objectifs et mon planning pour moi, soirées "Bidouille" pour Nico où la vie seule sait quels bidouilleurs improbables il rencontrera. Et comme ces énergies qui nous viennent de partout nous emplissent encore plus de confiance malgré la nécessaire et présente nostalgie de l'avant, de l'énergie de nous aussi sort et transpire, imprègne les autres et imprègne les lieux... Et crée des lignes de vie, comme celle de Sibiville.

Évidemment, tout cela crée de la fatigue, non pas psychologique cependant, mais presque physique. On ne donne pas de soi à ce point sans une nécessaire intensité éreintante. Ce soir, ainsi, je suis rompue. Mais l'énergie des autres nous regonfle, et quand ce n'est pas le cas immédiatement, il est aisé de se ressourcer dans un moment de solitude qui nous emplit d'une énergie nouvelle à partager avec les autres. En écrivant, par exemple...

Croiser des énergies, c'est, quelque soit la longueur du vol, ne pas tomber dans le marécage. C'est oublier parfois la souffrance pour penser à construire. Partager avec intensité tout en se recentrant sur soi pour mieux s'épanouir. Croisez-vous, donc; croisez vos énergies - avec nous, si vous le voulez! Même par delà l'Océan.

Magie de la phonétique : d'un seul phonème sont sortis trois graphèmes. Croisée, croiser, croisez. Richesse de la langue, richesse du sens.

samedi 15 janvier 2011

Planer pour (se) (re) trouver

Trouver le ton, pour démarrer un nouveau blog: celui-ci commencera par un vol. Un vrai pour débuter, entre deux continents, par-dessus celui-là des deux océans que Philémon aime tant. Pour Nico, c'était le 10 décembre; pour moi, le 23 décembre. Deux dates distanciées, deux destinations séparées, Paris pour lui, Munich pour moi, deux états d'esprit l'un de l'autre estropiés. Nico talonne d'une violence obligée la fureur de Paris qu'encore mes traces de bottes marquent doucement la neige trop fraiche de Montréal. Puis pour finir, j'ai dû partir aussi. Dû, comme une obligation. Dû, comme une étape de la vie qu'on s'impose à soi-même, pour rejoindre la prochaine. Avec toute sa souffrance, ses angoisses. Avec tous ses projets, ses rêves; celles et ceux du dernier post des marmottes au Canada.



Comme une joke plate qu'on m'aurait faite pour mon départ, en moi résonne le jour de mon départ cette chanson si quétaine de Beau Dommage: “23 décembre, Joyeux Noel, Monsieur Côté...”, dit la chanson. “On s'reverra.... le 7 janvier...”. Cette fois, non, on ne se reverra pas le 7 janvier – plus tard, peut-être? Monsieur Côté me dit au revoir dans la pénombre d'un soir au pied du métro Mont Royal, deux jours avant mon vol. Loin d'Oliv' Volo sur St Laurent ou Ste Catherine qui chante “Adieu, sans rien se promettre, au revoir est un voeux trop plein de peut-être”, on s'en fait, des promesses, sans doute trop, explicites, ou non. Chacun à sa manière, on donne à l'autre un bout de soi. Et tout à coup en moi se retrouvent pèle-mèle des bouts des autres qui m'emplissent d'un espoir qui combat les angoisses: le chevalier ardent, la voyageuse du temps, le tyrano-poule, les inclassables et leur woolite, la douce princesse aux cheveux rouges et son chanteur d'opéra secret, Blanche Neige, ses deux nains et son prince venu d'ailleurs, la voix de Pierre Lapointe incarnée sans le dire, la poigne de la femme forte, ceux qui se cherchent en douceur et en amour tout en donnant tellement d'eux même à leur bientôt 3 petits, les joueurs invetérés, ceux qui soit-disant n'aiment pas les cadeaux, la bande à Biloutte.... Les promesses, c'est celle de se revoir, celle d'essayer au moins... En filigrane aussi derrière celles-ci, c'est celle de continuer, celle de rester soi ou de le devenir plus encore, libres. On ne sait aujourd'hui si le temps et la distance éteindront peu à peu ces envies en éloignant nos routes. Dans certains cas, comme je le découvre parfois douloureusement en intégrant mon nouveau ciel, la vie nous sépare peu à peu d'un mouvement doux-amer. Orb Isles me l'avait dit, le chevalier ardent me l'a répété: ne regrette rien, ne te retourne pas, on devient ce qu'on est et la vie est ainsi. Si la vie nous sépare cela sera sans souffrance. On découvre aussi parfois, des années plus tard, de nouveaux liens qui nous surprennent et nous ravissent, des chemins éloignés qui se sont rapprochés dans la perpétuelle musique de l'évolution des êtres. Alors, en passant la douane, et dans la langueur des après, je comprends qu'on manquera peut-être de courage pour s'écrire et de temps pour se décrire, que le combat nécessaire contre la nostalgie qui enfonce dans le passé et alourdit nos ailes nous éloignera peut-être, temporairement ou définitivement, ou que peut-être pas. Que peut-être, on se retrouvera. Le chevalier ardent l'a dit, la reine de la liberté l'a répété : au Québec, on sait que finalement, “ce n'est pas grâve”. Le contrôle sur la vie ne sert à rien si ce n'est nous couler.

Alors on souffle dans la voile la beauté des souvenirs et les rêves de demain pour la faire grandir et avancer. Et on plane. Bizarre comme cette expression, en France, est négativement connotée. “Hey, tu planes? - T'as pas les pieds sur terre!” Non en effet, pas tout à fait. Et quel bonheur. Comme Matthieu Ricard le prédisait dans son livre auquel il y a trois ans je ne croyais pas, la distance des passions n'empêche pas l'intensité des joies et le manque de contrôle n'entrave pas la direction des projets. Sans moteur, dans l'azur, je suis depuis mon arrivée (ou, en fait, depuis bien avant ça, car c'est le Québec qui m'a rendue ainsi!) au-dessus des douleurs empétrées et des angoisses entravées. Surtout, ne pas tout de suite atterrir, pas avant d'avoir trouvé une place en paix où l'on voudrait bien accueillir des marmottes voyageuses, dans un terrier mixte et varié, sur un terreau riche et coloré. Et qui sait, cette place est peut-être dans le ciel, accessible en vol libre seulement. Un mois déjà que je plane! Sans drogue aucune, sauf le café dont je bois trop et qui me remet temporairement les pieds sur terre quand je dois me battre avec l'administration et sa maison des fous d'Asterix (“le formulaire B52-12 vous sera distribué par le bureau X-48 qui se trouve au 100ème étage de cet immeuble sans ascenseur” “Ah Bon?”) Au début, le phénomène de planement tient d'un mélange de survie, de décallage horaire et de décallage culturel. On ne peut se crisper d'actions ou de réactions qu'on ne comprend pas, ou plus. L'humour prend naturellement le relais, signe d'une maturité sereine acquise loin de chez soi (“Pourquoi, déjà, s'énervent-ils? Allez, ça ne doit pas être bien grâve!”). De Munich à Innsbruck, dans le train qui me porte le 24 décembre dans la vallée du Tyrol, j'écoute ce vieux Français qui débat (ou se débat?!) avec deux Autrichiennes. On parle, on gesticule, on s'énerve pour tout; au Québec, on croierait que ça se chicanne! Mais non, c'est vrai, j'oubliais, c'est le coeur du lien social, en France. Difficile d'y couper, mais on le prend soudain avec plus de légèreté, au moins la plupart du temps. À Innsbruck, chez mon frère, les échanges permanents de points de vue et d'idées continuent et m'épuisent, arrivent presque à me faire atterrir et à m'énerver, loin de mon habitude de partager avec ceux que j'aime des projets et non plus de confronter des positions. Silencieusement je me réfugie dans les regards aimant à ma famille que j'aime, dans la tendresse sans borne de mon prince que je retrouve et qui lui aussi semble un peu continuer de planer dans son calme perpétuel; et parfois je me réfugie aussi, dans la journée aussi bien qu'à 2h du matin, dans les regards aussi perdus que le mien des beaux-parents de mon frère, qui eux aussi planent dans une brume de décallage horaire, loin de leur tranquille Californie et de ses géants red woods qu'on a vus cet été, majestueux dans leur grand âge. De ce côté-ci de l'Atlantique, les rues sont étroites et les espaces restreints, et partout il faut faire sa place en permanent contact avec l'autre, physiquement ou métaphoriquement. En trois ans, on l'oublie. Dommage que je n'ai pas pu comme Philémon juste m'arrêter sur une des lettres de l'Atlantique; ou, l'ai-je fait?







Car dans mon ciel, heureusement, il fait beau; et l'espace est sans borne. Planer au début me fait peur, comme une espèce de fuite qu'on ne choisit pas vraiment. Puis, en rentrant à Paris quatre jours après Noël, je réalise que c'est ma force. La maxime de Sénèque n'a jamais tant eu de sens: “ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous ne les faisons pas, c'est parce que nous ne les faisons pas qu'elles sont difficiles”; or, en trois ans, ce que Nico et moi avons accompli est phénoménal! Nous avons fait tomber nos peurs. Pouquoi alors les retrouverions-nous en revenant en France? Après tout, ici comme ailleurs, tout est possible. En partageant avec ceux qui, ailleurs (en France ou pas!), ont continué leur chemin, on se rend soudain compte comme les échanges sont bien plus beaux sans ces peurs, dans le ciel. Certains amis, encore un peu craintifs, se laissent pourtant dès notre arrivée emporter dans notre vol et tout à coup se libèrent et sourient comme jamais; d'autres, déjà très hauts aussi dans un ciel de liberté, nous racontent leurs paysages, leurs soleils et leurs lunes. Quel bonheur de se voir. Et c'est avec eux que le lien se re-crée. Sont-ce tous, comme le dit le livre que mon frère m'a offert, des “Third Culture Kids”, des enfants qui ont vécu plusieurs années de leur temps de développement à l'étranger, ou du moins à cheval entre plusieurs cultures? Ou sont-ce tout simplement des gens curieux, ouverts, qui évoluent comme nous, et qui grandissent, loin des conventions du monde et de la raideur de la France? Ma cousine me le disait: on évolue tous. À nous, qui rentrons de l'étranger, de ne pas cataloguer les personnes qui sont restées en pensant qu'elles n'ont pas bougé; pour la plupart, c'est faux. Le 7 janvier au soir, dans notre petit nid de marmottes du 19ème arrondissement, près du canal St Martin où Amélie Poulain aimait tant lancer ses galets, 35 personnes s'engouffrent sous les toîts pour échanger bonheur et rêves. Party de “retour”; pour la première fois, je ne plane plus toute seule et notre vol en formation me fait voir mille couleurs au sol que je ne voyais pas encore.

Le lendemain, 8 janvier, après 3 heures de sommeil, c'est le départ pour le Nord de la France. On l'a dit, on le fera: on veut connaître autre chose que Paris. La capitale nous happe, nous stresse, alourdit nos aîles de ses milles sollicitations qui ne vivent que dans l'immédiateté et nous empêchent de voir le paysage, de sentir l'air qui prend nos aîles et de gouter la fraicheur qui nous entoure. Alors on va faire un repérage, toujours sans se poser, du côté de Sibiville, de Seclin et de Lille. Et, là aussi, on trouve des gens qui planent, dont la légèreté est intense et belle et tellement pleine d'amour qu'il en pleut partout alentour. Mon coeur au contact des créateurs de Sibiville s'emplit plus encore que je ne le présentais de volonté d'espoir. Voilà un terrier qui me plait. Proche de Bruxelles, où nous faisons d'ailleurs un saut pendant deux jours, proche de Paris, où tant de gens aimés seront faciles à visiter; un terrier où le contact est aussi facile qu'avec la bande à Biloutte de Montréal, aussi passionnant qu'avec le chevalier ardent, et si prometteur de projets qu'on aura dans quelques mois tant de choses à partager avec les inclassables et leur woolite et évidemment Monsieur Côté. Si personne ni nulle part n'est interchangeable, voici au moins un lieu où notre équilibre, me semble-t-il, pourrait être similaire à celui de Montréal, dans sa légèreté et sa positivité. Alors on touche terre comme lors d'une migration d'hiver vers des terres de soleil, on prend quelques adresses, on se renseigne sur les paperasses, on rencontre quelques aides, et on reprend notre vol libre au-dessus de ce petit coin du Nord de la France, chez les chtis, où nos aîles nous porteront à partir du 28 janvier, dans une semaine seulement: Lille. Projet dans l'Économie Sociale et Solidaire pour moi à côté de mes cours de langues et de mes cours de soutien pour gagner des sous, pistes dans le jeu vidéo et les agences de communication qui foisonnent dans ce “hub” de l'Europe pour Nico; et bientôt, peut-être, la radio associative, les kinos: tout ce qu'on aime et qu'on a gardé en nous et dont la légèreté a aidé notre vol plutôt que de l'entraver.







En planant dans notre migration vers notre ancienne terre, sans se figer dans la crainte, en acceptant la perpétuelle et nécessaire évolution de soi et des autres, et la beauté d'un éternel apprentissage du monde, on ne se retrouve pas tels qu'on était et notre terre non plus. Tout est ajustement. Notre terre et les autres, on les trouve à nouveau, on re-crée avec eux différents liens un peu plus beaux et riches qu'avant. On trouve un lieu et des projets qui semblent vouloir nous faire vivre. Et on se trouve nous même, un peu plus, différents, chaque jour.

Parfois, comme il y a quelques jours à Paris quand on nous refuse le RSA et qu'on nous complique l'accès à une couverture médicale, on traverse un nuage. Notre légèreté d'être heurte le mur de la lourdeur du système et étouffe notre regard qui de paysage ne voit plus que du flou. On prend un trou d'air, on tombe presque jusqu'au sol. Notre terre voudrait elle nous rejeter après toutes ces années d'absence? Tout est si lent qu'on nous oblige à courir pour multiplier les opportunités. Comme si le calme était ici anormal, que vivre dans le conflit était la seule convention acceptable. Formalisme et mauvaise humeur des autres, difficultés financières... Mais Nico et moi planons ensemble et nous relevons l'un l'autre vers un ciel de soleil; et d'autres planent avec nous qui nous aident à garder notre légèreté, parfois de très très loin, comme le chevalier ardent qui m'écrit; parfois de bien plus près, comme la Née et son homme qui nous rappellent la belle douceur de vivre, quoiqu'il arrive. Humour, et patience. À côté de moi dans le train qui m'emporte à Rennes pour la fin de semaine, une jeune fille lisait hier un livre dont le titre annonçait “Le travail créatif: s'épanouir dans l'incertain”. Voilà un beau projet. Le vol, jusqu'ici, est magnifique et plein de couleurs. Puisse-t-il continuer à porter nos espoirs et puisse-t-on vous rencontrer dans nos cieux. Après tout, les nuages font partie de la beauté du ciel. Les Bretons le savent bien, les Québécois aussi.