Confusion. C'est le mot qui me traverse l'esprit lorsque je sors de chez la sage-femme mi-décembre. La veille au soir, j'ai dit à Nico que j'avais besoin qu'il donne sens à mon corps. Pour la première fois depuis longtemps, je perds une plénitude propre à la grossesse, à la maternité.
La sage-femme me dit que toutes les femmes ne ressentent pas le même sentiment. Certaines restent à jamais fusionnelle avec leur enfant; d'autres, au contraire, ne ressentent jamais ce sentiment de fusion si intense que son arrêt est presque un deuil. Pour moi, la grossesse aura duré 12 mois: le temps d'une courbe qui monte et puis qui redescend. On n'est pas enceinte: on le devient; on n'est pas "libérée" par l'accouchement: on le devient. Le corps, pendant longtemps, est l'hôte d'un, d'une autre. Il doit être protégé, choyé, entretenu, pour l'autre.
Puis un jour, le corps de l'autre n'a plus un besoin fondamental du vôtre. On pourrait croire que c'est lorsqu'on arrête d'allaiter qu'on ressent ce vide soudain; pour moi, c'est le sentiment de vide qui m'a poussée à ralentir tout doucement l'allaitement. Le sentiment que ma fille savait sans peine vivre sans.
Et moi, sans elle sur mon sein pour donner du sens à mon corps, ai regardé soudain mon propre nombril et me suis sentie faible. Plus d'abdominaux, pas même assez pour me relever quand j'étais sur le dos. Un ventre mou et sans défense, symbole de la douceur accueillante de la mère, mais sans la tonicité propre à mon caractère. Un ventre où la main s'enfonce sans peine quand on appuie; où la peau s'étire sans peine quand on la pince. Quelques kilos de trop, aussi. Et tout à coup, je me suis dit, "si je voulais, je ne pourrai même pas grimper à l'arbre".
Et j'ai voulu redevenir moi; mais comment se retrouver quand on s'est perdu de vue depuis presque 12 mois; ça prend du temps. Le regard de l'autre, des autres, aide un peu, parfois. Les efforts, aussi. 5 semaines que tous les matins je me lève aux aurores pour remuscler mon corps, jusqu'à ce qu'enfin je sente à la place du vide les muscles qui me permettent de courir, de parler de ma voix haute (impossible sans abdo!), de me relever sans l'aide de mes bras, de sauter, enfin, dans les bras de mon amoureux. Des muscles, aussi, qui me servent à mieux serrer ma fille dans mes bras.
Et puis vient le travail, qui passionne et préoccupe à la fois, qui pousse les neurones dans des connections renouvelées; et la première "sortie de filles", pendant que Nico est avec ses copains et Colline avec ses grand-parents. Les premières danses, où l'on se rappelle son corps d'avant. Qui, certes, pourrait bien garder quelques marques... Mais si Foresti le prend avec humour, pourquoi pas moi ?
Une grossesse dure-t-elle vraiment 9 mois ? Certaines diront qu'elle dure 2 ans avec le temps de restriction imposé par la volonté préalable d'être enceinte. Pour d'autre, comme moi, c'est 12 mois. Pour d'autres, c'est tout une vie.
Et pour le papa ? 5, 6 mois, sans doute; le moment où la courbe est au plus haut. Mais seul lui pourra vous le dire !