dimanche 11 mars 2012

Le temps (n')est(-il) (pas) extensible ?

Quelques temps déjà que je pense écrire ce message et voilà que je me suis laissée prendre à mon propre jeu : celui du temps, qui tel un serpent se mord la queue. Les jours passent sans compter, égrainant sur leur cours les centimètres de Colline (qui a déjà 5 mois 1/2 !) et les milles rencontres de nos vies. Et puis un soir à 17h on se retrouve entre 10 couples de parents angoissés et d'enfants malades, tous plus âgés que Colline, dans la salle d'attente des urgences pédiatriques de l'hôpital Jeanne de Flandre, Colline pleurant de fatigue dans nos bras, et moi un bonnet jusqu'au cou pour réparer mon otite carabinée; alors, seulement, le temps s'arrête devant l'épuisement du corps qui ne suit plus.

Logistique à coups de chauffe-biberon, de porte-bébé, de cosy et de couches, et sang-froid à coup de portage à bras et de balades dans les sous-sol, puis au bout de quelques heures on nous laisse finalement "nous sauver", dans tous les sens du terme : rentrer enfin chez nous, vers 1h du matin. Retrouver nos affaires. Retrouver nos lits. Colline, fatiguée, dort. Elle mettra quelques jours à se remettre de cette grosse fatigue, des heures dans les couloirs à hurler de faim sans pouvoir manger, dans l'attente de l'échographie abdominale qui ne trouvera rien d'anormal à son estomac. Finalement rien de grave : ses vomissements quasi-quotidiens et sa perte d'appétit et de poids depuis 2 semaines seraient dus à une allergie aux protéines de lait de vache. La solution ? Changer de lait ! Déjà depuis 2 jours on en voit les effets : biberons qui s'engloutissent et joues qui redeviennent bien roses. Quant à moi, pas de problème de foie, et au bout de 10 jours je viens enfin à bout de ma gastro-laryngite-otite. Nico, fatigué, se remet doucement d'une semaine à tout faire seul à la maison.


Aujourd'hui, dimanche, première fois depuis des mois que nous sommes seuls tous les trois à la maison et que nous n'avons rien de prévu. Pas d'amis ou de famille à voir, pas de visites, juste nous et notre confort. Il aura fallu ça pour que nous reprenions enfin la liberté que nous avions au Québec : celle, si peu aimée en France, de "tchocker", dont la plus proche expression française serait "poser un lapin". Même si, dans les fait, on prévient souvent quand on tschocke : il s'agit plutôt d'annuler un engagement. Aujourd'hui, on en a annulé 2 : un ami qui devait depuis 2 mois venir nous rendre visite de Bruxelles, et des amis que nous essayons de voir depuis 3 mois... La liste des gens à voir est longue, et la liste d'attente s'allonge bien malgré nous. Alors après tout qu'importe si parfois on "tchocke", en toute amitié, quand c'est notre tranquillité, notre santé, notre bonheur, qui est en jeu ? Quand les engagements sont si nombreux qu'ils remplissent tout notre "temps libre" ? Quand annuler un rendez-vous prévu veut dire passer du temps au calme, mais veut aussi dire mieux profiter d'une rencontre fortuite ? 

France, pays de la culpabilité, où je me sens depuis 1 an plus responsable et plus coupable que tout ce que j'ai pu ressentir en trois ans et demi à Montréal. Encore plus en tant que mère qui travaille. France, pays du devoir, où l'on se lève le matin parce qu'on "a des choses à faire", semaine ou dimanche, où même dans la plus grande fatigue on continue d'avancer car "on a promis qu'on irait". France, le seul pays où Benabar a pu inventer cette chanson, "le dîner"...

J'veux pas y'aller à ce dîner,
J'ai pas l'moral, j'suis fatigué,
Ils nous en voudront pas, allez on n'y va pas.
En plus faut que je fasse un régime ma chemise me boudine,
J'ai l'air d'une chipolata,
Je peux pas sortir comme ça.
Ça n'a rien à voir je les aime bien tes amis,
Mais je veux pas les voir parce que j'ai pas envie.
On s'en fout, on n'y va pas,
On n'a qu'à se cacher sous les draps,
On commandera des pizzas, toi la télé et moi,
On appelle, on s'excuse, on improvise, on trouve quelque chose
.....

On est rentrés en France pour partager du temps avec tous ces gens qu'on aime, mais pour partager avec l'autre, encore faut-il être soi. Pour profiter du temps avec l'autre, encore faut-il passer du temps avec soi. Encore faut-il comprendre, enfin, que le temps tout à la fois n'est pas extensible et pourtant l'est tout à fait. Il n'y a qu'une vie, qu'une année dans une année, que 24h dans une journée et que 60mn dans une heure; mais on fait ce qu'on veut (et parfois ce qu'on peut) avec ce temps, y compris au dernier moment, dans le respect de notre bonheur et de notre liberté, en priorité. Si on ne sait pas prendre soin de nous, personne ne le fera à notre place, comme me disait en 2008 un ami perdu de vue de la ville enneigée.

Regarder chaque jour comme une page vierge plutôt qu'un agenda rempli. Se dire que la page se remplit au fur et à mesure et jamais en avance. Un jour futur n'est pas un jour passé, et l'heure qui vient n'appartient, au fond, qu'à vous. A vous de savoir si vous voulez y dormir ou y travailler, y pleurer ou y rire, y être seul ou accompagné. A vous de savoir ce qu'il vous faut, à cet instant, pour équilibrer votre propre harmonie. Déplacez ses rendez-vous, tous les jours s'il faut, en s'excusant au besoin, mais avant tout vivre pleinement, pour soi, pour la vie, et pour ceux qu'on aime.

Alors si demain nous ne sommes pas là avec vous, comme si demain vous n'êtes pas avec nous, pensons chacun les uns aux autres avec joie en se disant que cette absence est la preuve de notre liberté et de notre bonheur, et que la présence de demain voudra encore d'avantage dire le bonheur de se revoir. 

Mise à jour à 20h... Nos amis que nous cherchions à voir depuis 3 mois sont finalement passés nous voir en fin d'après midi, rapportant du gâteau et un magnifique cadeau pour Colline.... Plaisir de l'imprévu !

Rencontre des cousins, février 2012(mot de passe, Colline)



"Sainte Colline" se repose

1 commentaire:

Chris a dit…

Comme toujours Magnifique.

Merci pour ces nouvelles et cette réflexion philosophique.
Je suis heureuse de voir que la vie va tout de même bien. Je suis heureuse de voir les premières vidéos de Colline que j'ai hâte de rencontrer. Mais comme une année ne dure qu'une année, ça sera alors peut-être plus tard.

Pour finir, je trouve ton titre très drôle puisque je vis actuellement dans un pays où les deux expressions favorites sont "Pura Vida!" et "Hay mas tiempo que vida" (il y a plus de temps que de vie). Dans les deux cas, l'idée est de dire que tu dois profiter du temps présent et qu'il est plus important que tes obligations.

Bisous fort à vous 3 et aux quelques personnes que je connais dans votre entourage.

Je pense à vous souvent, je vous sens très proche dans mon coeur.
Christelle (MTL... Costa Rica :-)